« Quatre ans pour trouver un orthophoniste et en plus hors département ! » « Un an et demi pour avoir mon orthophoniste pour mes petites jumelles ». « Depuis janvier, je cherche un orthophoniste pour ma fille afin de lui faire des tests. J’ai cherché à plus d’une heure de chez moi, mais rien ». Ce sont quelques-uns des témoignages recensés sur notre page Facebook.
Orthophoniste dans le Morvan, elle est contrainte de ne plus prendre de nouveaux patients
Une autre maman témoigne : « J’ai une petite fille, de bientôt 5 ans, en grande section. Il y a quelques semaines, la maîtresse nous a alertés sur sa prononciation et nous a dit que, selon elle, il faudrait faire un bilan chez un orthophoniste. J’ai pris la liste des orthophonistes de Nevers et de son agglomération et passé des dizaines de coups de fil. Je n’arrivais à joindre personne. Uniquement des répondeurs, qui m’indiquaient que je ne pouvais pas laisser de message si je n’étais pas déjà patiente. Certains disaient qu’il fallait rappeler en janvier pour pouvoir, éventuellement, m’inscrire sur une liste d’attente, car celle-ci était complète ».
Rappeler en janvier pour être sur la liste d’attente
Elle décide de contacter les professionnels de La Charité, Cosne et même Léré…
« Une orthophoniste cosnoise me demande mes disponibilités. Je travaille à temps plein. Elle m’indique qu’elle ne pourra pas prendre ma fille car le suivi se fera sur plusieurs semaines et qu’il sera donc très compliqué de l’enlever de l’école chaque semaine… Elle n’a plus de créneau le soir. Je suis en attente de messages que j’ai tout de même laissé à certains orthophonistes qui demandaient d’envoyer des messages écrits. Je vais les relancer en début d’année en espérant pouvoir avoir une place sur liste d’attente… »
Anne Julien, présidente du syndicat régional des orthophonistes de Bourgogne Franche-Comté, n’est pas surprise. « Cela fait dix ans que l’on connaît de grosses difficultés démographiques. On a des listes d’attente d’un an ou deux, c’est gravissime », reconnaît-elle.
Il y a un seul centre de formation à Besançon, qui forme une trentaine d’orthophonistes chaque année. Il n’y en a pas en Bourgogne. Et le recrutement se fait partout en France.
Elle estime déjà qu’on ne forme pas assez d’orthophonistes en Bourgogne Franche-Comté. « Il y a un seul centre de formation à Besançon, qui forme une trentaine d’orthophonistes chaque année. Il n’y en a pas en Bourgogne. Et le recrutement se fait partout en France. Ce ne sont pas forcément des étudiants régionaux. Ce qui signifie qu’à la fin de leurs études, ils rentrent souvent chez eux.
La Nièvre étant éloignée de ce centre, c’est un quasi-désert au niveau des orthophonistes. Ceux qui y sont travaillent d’arrache-pied. Ils ont beaucoup de rééducation à faire, et beaucoup de pression ».
Deuxième explication, « Il n’y a pas une zone en France où il y a assez d’orthophonistes par rapport au besoin. Les jeunes diplômés sont donc libres de s’installer où ils veulent, et l’attractivité fait qu’ils choisissent peu la Nièvre. De plus, la profession est à 98 % féminine, et elles suivent souvent leur conjoint là où il trouve du travail, puisqu’elles peuvent s’installer n’importe où ».
Quand un médecin veut s’installer en libéral, que doit-il faire ? On vous explique
Pour endiguer ces phénomènes, la profession a décidé de prendre les choses en main, « parce que compter sur des avancées politiques, c’est trop long ». C’est ainsi qu’est née la Plateforme prévention et soins en orthophonie (PPSO). Elle est pensée par des orthophonistes et financée par l’ARS. Elle dispose de plusieurs outils pour permettre de répondre à la demande des patients et soulager les orthophonistes.
20 % des demandeurs n’ont pas besoin de bilan
Un site Internet, d’abord : « Allo Ortho ». Il recense près de 170 articles, qui répondent aux questions que se posent le grand public sur le développement, l’alimentation, le langage, la lecture, l’orthographe, le calcul, la concentration, la voix, l’audition, ou la mémoire.
Si après consultation du site, l’usager ne trouve pas la réponse à sa question et s’interroge toujours sur la nécessité de consulter un orthophoniste, il peut remplir un questionnaire en ligne, et sera rappelé par un orthophoniste régulateur. Il répondra à ses questions et déterminera la nécessité d’un bilan et son caractère d’urgence.
20 % des personnes qui demandent un bilan n’ont rien à y faire.
L’intérêt de tous ces filtres ? « 20 % des personnes qui demandent un bilan n’ont rien à y faire. Parce que la maîtresse l’a demandé pour un enfant alors que c’est trop tôt. Parce qu’il vaut mieux faire un bilan visuel, ou psychomoteur. Parce que des conseils de prévention suffisent à régler le problème… Ça représente un patient sur cinq qui arrive dans nos cabinets, alors qu’il n’en aurait pas besoin. Et un bilan, c’est l’équivalent de trois heures de travail pour un orthophoniste, en comptant le travail de rédaction. C’est du temps que l’on n’utilise pas pour les patients qui en ont besoin ». C’est aussi du temps médical de perdu, puisque les patients sont obligés de passer par un médecin pour pouvoir prendre rendez-vous chez un orthophoniste.
Une liste d’attente commune pour tous les professionnels
50 % des orthophonistes adhèrent déjà à la PPSO. Et un nouveau projet est imminent. Il consiste à mettre en place une liste d’attente commune. Plutôt que d’appeler en vain dix professionnels, le patient qui demande une consultation n’aura qu’à le faire une fois, sur la plateforme. Il sera géolocalisé, et sa demande arrivera à l’orthophoniste le plus proche de lui.
S’il ne peut pas le recevoir, la demande sera transmise au deuxième orthophoniste le plus proche, et ainsi de suite, jusqu’à ce que quelqu’un accepte, dans une limite de 50 km. Le patient sera informé dès que ce sera le cas. Si aucun n’est disponible, il sera placé sur une liste d’attente commune. Et lorsqu’un orthophoniste aura un créneau inattendu, suite à une annulation par exemple, il pourra contacter les patients sur liste d’attente, toujours en fonction de la proximité.
Lorsqu’on a un créneau disponible, on reprend notre liste d’attente, sauf que la mienne débute avec des gens qui m’ont appelé en 2020. Depuis, certains patients ont pris un autre rendez-vous, n’en ont plus besoin, certains sont même décédés.
« L’avantage, c’est que le patient n’a qu’une démarche à faire. Ce qui évite à la dixième secrétaire de se faire insulter parce qu’il est à bout et qu’il tombe sans cesse sur des répondeurs. Il pourra évidemment savoir où sa demande en est, et recevoir une réponse optimisée, avec l’orthophoniste disponible le plus proche de lui. Une fois contacté, son nom disparaîtra automatiquement de la liste d’attente, ce qui évitera les doublons. Le professionnel, lui, ne perdra plus de temps dans la gestion des appels.
Lorsqu’on a un créneau disponible, on reprend notre liste d’attente, sauf que la mienne débute avec des gens qui m’ont appelé en 2020. Depuis, certains patients ont pris un autre rendez-vous, n’en ont plus besoin, certains sont même décédés. Je les reçois aussi en fonction des priorités. Ça prend un temps monstrueux. Et moralement, c’est usant. Au lieu d’appeler 10 ou 20 personnes, je suis en contact avec la personne la plus proche disponible au moment de mon créneau. Tout le monde gagne du temps ».
Les orthophonistes de la région devaient être informés de ce nouveau dispositif fin novembre. Dès que 20 % d’entre eux y auront adhéré, la liste d’attente sera ouverte aux patients. Anne Julien pense démarrer sous trois semaines, un mois. « En tout cas, cette liste d’attente commune devrait être ouverte avant la fin de l’année ».
Pourquoi faire appel à cette profession ?
L’orthophoniste intervient auprès de tous les âges, du prématuré qui ne sait pas déglutir, jusqu’à la fin de vie où il tente de maintenir la communication le plus longtemps possible. Entre ces deux extrêmes, il peut aider des personnes en situation de handicap mental, de surdité, d’autisme, des personnes qui ont fait des AVC, des cancéreux qui ont des problèmes au niveau de la langue, de la gorge, de la mâchoire, de la voix.
Il intervient aussi auprès des malades Parkinson, Alzheimer pour tout ce qui est troubles du langage ou de l’écriture. Il aide les enfants qui ont des retards pour parler, des problèmes d’orthographe, de mathématiques ou des troubles dys. Son champ d’action va de la communication au développement cognitif et intellectuel, en passant par les fonctions respiratoires, vocales et l’alimentation.
Marlène Martin
Article paru le 23/11/2022 dans le Journal du Centre